Auteur/autrice : alistair

Manifesto

Just imagine to accept a pan-historic blend, damaged like a Faiyum portrait, but shining like a reproduction on glossy paper. All possible influences are packed into a closed space, their backs against the walls or their backs against the clouds, all of them equal.

There : visualise a scenography. Nail down bodies. Make them play. Then contest their presence, pretend they never existed. Perhaps even destroy them. Shine a spotlight on what’s left : watch as the parasites multiply and all that remains is obliterated.

A method ? Do-and-undo.
Undo ? I mean scrape until the underlying levels are on the surface, cross out, burn, disfigure, distort, dissolve. No collages and no photos – that would be too obvious.
Then, to finish, undermine this ageing process by highlighting it, covering it in shadow or dressing it up with trinkets, bits and bobs, gadgets, stuff, things, zip, zilch, nada. Make it shine.

The encapsulation imposed by the sum of these events inflicted on melamine is my favorite process.

This is not an exercise in post-modernism but rather in post-pessimism. This is a forward projection because what excites me above all is not the glossiness of our present time with its cortège of protruding, gleaming problems made up of our crazes and catastrophes, but the speed with which the rust sets in, the changes in state that accompany the passage of time.

It’s there that I wanna dig up and there I let my pickaxe fall ; I confess.

Coups d’état sur les strates de l’indécis.

Des maîtres-mots du peintre en guise de slogans :

« Les boursouflures du signifiant hors les coursives du signifiés »

« Peu de limites à la surenchère sur la gageure »

Puis des paysages-visages, entre cartoons et tectonique des plaques, mécanique des fluides et exobiologie, transgenres chlorophylliens et invertébrés marins, et pourquoi pas, dès ces prémices, un emprunt aux fameux canards-lapins du Joseph Jastrow de 1892, le psychologue américain …

Pour décrire l’œuvre de Jim Delarge, le glossaire interprétatif s’élargit. Entre chimères d’une symbolique universelle et souci de la plus rigoureuse imprécision, la profusion des choses désignées excède de loin celle des signes.

Dans cette proposition figurative, tout surgit, rien ne reste en l’état. Cette peinture pétrit les formes, les dilue et transfigure les paréidolies qu’elle occasionne. Les paréidolies font partie de ces fameuses hallucinations « entre deux eaux » qui font qu’on prête, entre autres, aux nuages, des visages. Car chaque tableau, dans sa genèse, se défait en même temps qu’il se fait. Chacune de ses œuvres est une capture dans le flux, une adoption des figures qui ont mérité de survivre à l’éternel recommencement.

Que voit-on à l’atelier, dans ce vaste box de béton gris dont le sol sera bientôt teint dans la masse par les litres du vitrificateur répandu ? Par quels gestes commence ce grand cirque brillant, au sens où l’on s’y reflète déjà, cette grand-messe, cette capture des temps compactés ?

D’abord le profane est perplexe quand il regarde le peintre s’emparer d’un support qui n’a rien d’une toile puis quand il le pose à même le sol et ajuste quelques cales, choisit pigments, liants et solvants et concocte ses « jus ». Un outremer noirci par un sombre violet, un cyan plus chaud, un rouge, un vert olive.

Faut-il attendre un miracle ? La magie est-elle advenue dès ces premières empreintes multicolores qui avaient entaché par accident le mélaminé blanc de nos cuisines ? Le métier du profane est d’attendre sans comprendre.

Voici le peintre agenouillé revêtu d’une combinaison aussi maculée que le sol de l’atelier qui dispose ses quatre flaques. Il se lève, il a soulevé sa plaque d’un geste oblique afin de provoquer là une puissante coulée outremer qui, dans une parabole, recouvre les autres flaques mais est sitôt ravagée par la nappe carmin quand le peintre a changé d’un coup de poignet fouetté, l’inclinaison de son plan. Ça été un tsunami bleu puis rouge, puis cyan puis olivâtre sous l’effet océanique de mascarets.

Les jus visqueux se poussent puis se marient. Ce jeu d’irrigation est une activité aussi enfantine que savante dans cette quadrichromie qui fond.

Au mot « irrigation », le peintre répond aussitôt par « politique ». Rattrapant un noir bleuté pour l’envoyer affronter le rouge sang irisé de cyan, il s’explique :

« Je ne fais que me jouer des inconciliables, je gère des flux, je laisse gagner les opportunistes, les plus fluides, je fais du Jupiter en somme, ça marche à l’œil et au pif, et je ne m’arrête que quand l’œil jouit. »

Jusqu’où irait cette politique des fluides ? Delarge fore son support sans vergogne pour évacuer les trop-pleins, créer des siphons, des tourbillon et il plonge dans la matière ses mains gantées, il jauge, replonge dans les bas-fonds de sa mare pour y créer des traces.

Quand ce sera sec, il raclera, biffera et arrachera des « peaux » au petit bonheur quand elles auront fait croûtes ou saillances. Il veut du lisse ; ses « matières » s’avèrent des trompe-l’œil, ce ne sont que des empreintes.

En amont, en travaillant au solvant l’épaisseur de ses nappes, il induit déjà des transparences, fond ses chauds et ses froids, ses hautes et basses lumières et insuffle un début de scénographie en usant de l’effet Doppler. Les chauds avancent, les froids reculent.

Dans l’élaboration de ces premiers jets, il ne se représente pas grand chose, des riens qui vont prendre de l’ampleur ou disparaître. S’il se met à penser au travers de formes qui émergent, il sait que celles-ci sont fugaces. Il travaille sans modèle, mais des images mentales interfèreront, déterminant un projet de composition. Il guette mais se projette peu. Il est dans cette phase médiumnique des peintres du dripping.

Sa mémoire, son désir, semblent davantage résider au bout de ses doigts et dans ses avant-bras qu’ailleurs.

Mais ce ne sont que les prémices et toute cette matière en mouvement imposera son tempo à son démiurge.

« Mes nappes, hélas, toujours, continuent de travailler toutes seules quand je quitte l’atelier, déplore Jim Delarge. Et en séchant si lentement, tous mes pseudo-miracles se cassent la figure si souvent ou perdent de leur acuité. Et il m’arrive alors, dans ces moment de faiblesse, de rêver pouvoir arrêter le temps, ou plus prosaïquement de rêver pouvoir stopper ces phénomènes de dilution par le biais d’hypothétiques flashes d’ultraviolet surpuissants qui, opérant sur une mare de peinture photosensible, figeraient mes belles flaques à la seconde où je le désirerais. »

Il se ravise. Une telle maîtrise technologique serait une régression. Elle segmenterait les temps de travail de façon si prévisible, alors que cet art si particulier ne naît que d’un compte à rebours du chaos opérant dans les flux qui se figent si lentement et dont il va lui falloir dynamiter les errements.

C’est l’heuristique qui est à l’œuvre ici. Cette fameuse « sérendipité » qui fait d’une erreur, le miracle des trouvailles inattendues.

Et l’abstraction chaotique muera vite en représentation figurative, polysémique par le truchement d’un système de caches improvisés.

De cette mécanique des fluides qui parfois échoue, auront surgi, par l’adjonction de signes-caches des paysages ciselés de chimères.

Que se passe-t-il alors ? Et à quel rythme ? Parfois, c’est dans l’instant, ou le lendemain. Parfois c’est beaucoup plus réfléchi.

Nombre de plaques de mélaminé dorment au fond de l’atelier. Ces ébauches, ces fausses pistes, murissent des semaines, des mois, parfois des lustres, elles vampirisent le cerveau du peintre à son insu avant de se laisser vampiriser par lui.

Beaucoup de ces inachevés seront réinventés, retournés, partiellement dissous ou recouverts de nouvelles nappes de polyuréthane, grattés, raclés, creusés, réapparaitront les sous-couches ravivées comme autant de trésors archéologiques oubliés.

Quand il sera temps, il y aura des raclements localisés, des retours partiels au blanc du support, du pur dessin, des biffes au pastel, des vaporisations de sprays, naîtront ici mille petites puissances actives et folles, obstinées, visionnaires.

Le goût du puzzle en désordre, mais aussi le goût du Sudoku, la passion des formes s’organisant de façon harmonique et volettante sous les coups de grattoir l’emporteront un temps sur les jeux de couleurs transparentes.

Le geste du peintre se fera moins ample, plus précis. Il trouvera avant même d’avoir cherché, il cherchera bien qu’ayant déjà trouvé. Il se nourrira de visions subites, inventera ce qui manque, créera un organisme à partir d’une membre. Ce ne sera plus une composition à base de flux interagissant, mais une série de coups d’état miniatures, de greffes, d’hybridation, de rencontres interspécifiques. Quelque chose entre l’art du grattoir, la finesse du dessin et la lumière qui sera portée sur le tout.

À un certain stade d’élaboration, c’est l’œil du peintre qui, consciemment ou non, est aux aguets, premier témoin à charge, il influe sur les prochains témoignages : à partir du moindre détail, tout doit pouvoir changer de sens. Il y a un moment critique, et opportun, où le chaos devient matière à interprétation mais il y a un chaos de première génération, un chaos de deuxième génération, et de troisième… et autant de processus associatifs qui seront eux même plongés dans les ultimes jus colorés, ces transparences évoquant ici, de façon réaliste, ces mélanges de lumières du jour et de lumières au tungstène de nos intérieurs. Curieuse, cette concession au réalisme.

À l’instar du Dice Man de Luke Rhinehart, Delarge semble lancer et relancer ses dés en replongeant quotidiennement son travail dans l’aléatoire. Comme s’il se défiait de ce qui prend forme si vite. Attendant l’émergence de la forme qui lui soit la plus étrangère.

Sur Lofoforex Willii (2018), vaste explosion abstraite, florale et animale sur Forex, un nouveau support adopté d’une souplesse inouïe, le peintre a apposé un œil sur ce qui évoque le pied d’un champignon. Ici un grand ovoïde à la pupille de trois quarts qui fait basculer l’abstrait dans le cartoonesque. La figure convoquée n’a rien d’un pèlerinage sentimental vers le dessin animé. Dans ses lectures d’enfant, Jim Delarge a si tôt baigné dans une culture pop parodiée.

« Dans l’élaboration de Lofoforex Willii, j’ai vite vu un bec de canard dans la coulée horizontale, or, qui voit un bec, cherche un œil pas loin. Et je n’ai pu que faire ressortir ce globe de la forme embryonnaire qui le suggérait, cet œil. C’est ici que je rends cartoonesque l’abstrait, or le cartoon tel que je l’entends existait bien avant le cartoon tel qu’il est apparu début vingtième, il est ancestral. Dans le magma des formes, dans ces états de la matière, liquide, solide, gazeux, l’œil va chercher l’œil dans un nœud du bois, les ombres des rochers, les creux des nuages et des feuillages, des yeux, ses yeux, le chaos s’animalise, l’animalisé s’humanise, oui mais de façon grotesque … Et qu’est-ce que le solide, si ne n’est un fluide pétrifié ? C’est avec ça qu’on joue. Ce qu’on nomme cartoon est la manifestation moderne d’une pratique sans âge qui se moque des excès. Cet outrancier qu’on retrouve dans les globules des yeux propres à l’art pré-antique déjà et mésopotamien entre autre. »

Chez Jim Delarge, la forme humaine, au fond, ne veut pas tant dire « forme humaine ». C’est un tropisme de l’œil humain qui ne cesse de détecter son double. Toute forme est ambivalente, réversible. Ses bouches béantes rappelleront les rieurs édentés qui peuplent les tableaux de Bosch et Brueghel qu’il a découverts à six ans, mais ces faces sont ici trop proches du magma pour évoquer l’histoire de l’art, elles restent au bord du gouffre des formes.

Une créature récurrente dans les années 2010, l’EMR, (Ergastuli Mandragorae Radix) atteignait à idéal de la frontière des règnes et des formes : lichen et agglomérat de petits monstres, végétal et minéral animalisé, rocher dansant au psychisme composite.

Si diverse, depuis 1992, que soit la création de Jim Delarge, quelque chose apparaît comme le dénominateur commun à cette multitude : ce que l’on voit, sans toujours en avoir conscience, dans la profondeur des glacis, c’est du palimpseste, ce sont des couches de temps en feuilleté qui sont avant tout représentées, l’épaisseur du faire déjà et la poussière de l’air.

Sur le plan figuratif, un immense pandémonium traverse les règnes et arrive jusqu’à nous, depuis le grain de lumière jusqu’au système nerveux, en passant par le rocher, la tong, la planète, l’herbe verte, le lamantin, la limace, le clown, le jackalope et les Vénus callipyges …

Cette machine à traverser le temps immémorial, cette machine à faire jaillir l’intégralité de la création depuis la solidification de la Terre, elle même agglomérat, agglomérat de planétésimaux compressés et refroidis, toute cela fonctionne dans les deux sens : de l’origine jusqu’à l’œil qui la voit, et de cet œil, à rebours, jusqu’à l’origine.

Or l’histoire du tableau, dans sa technique, sa gestuelle, est aussi un aller-retour incessant, un parcours contradictoire, qui cherche l’ordre, le dénonce, le récupère, jusqu’à cet accomplissement qui donne à voir, comme la matrice du réel, du Temps pur enfin fixé.

Patrick Cassam-Chenaï, 2018

Directeur de recherches CNRS

Astrochimie

Laboratoire J. A. Dieudonné, UMR 7351
CNRS et Université de Nice Sophia Antipolis

L’art de dévaster les apparences.

Par Christian Noorbergen 2017

Les repères ont disparu, l’espace est défiguré dans ses hauts-fonds et dans ses bas-fonds, aux devants et dans ses lointains.

La figuration est explosive, on y perd pieds et regards, on s’abandonne aux décollages du réel, aux délires de l’extase visuelle.

Jim Delarge met l’espace en folie, et le sens en déroute.

Chute dans un cube d’inventions tous azimuts.

Jim Delarge tord le cou à tout ce qui passe. Parasitage drôlatique et scabreux du trop-plein de visible. Art à haut risque avec pudeur et réserve, créant une insidieuse contagion, une séduction vénéneuse.

Tous ces éléments d’art aigus, contradictoires et accidentés, corrodent en glacis la surface de l’œuvre, et brûlent les éléments épars d’un charme âpre, subtilement pervers, comme un mortel parfum d’amour dévastant le labyrinthe.

D’énigmatiques passerelles entre fantasme et réalités.

La figuration que Jim Delarge instaure n’est pas de l’ordre du jaillissement, ni de l’exacerbation, ni de la boulimie destructrice. Son écriture n’est pas fondamentalement sauvage. C’est plus fort que cela. La dissonance devient clé d’intime déstructuration. Jim Delarge défigure en profondeur, et de l’intérieur, la figure normée et la trame de l’étendue. De manière indirecte et piégée.

Bref, il fout en l’air, mine de rien, ce qui constitue le socle de nos évidences.
Ses apparences lissées ne sont que leurres prodigieux.

Jim Delarge invente d’énigmatiques passerelles entre le trop-net et le fou, entre le fantasme et le réel.

“L’art n’est pas tant dans l’art, à mon sens, mais à la fois dans la nature vaste, ou dans son souvenir hallucinatoire, quand celle-ci fait défaut“, dit cet étrange animal créateur.

Il faut se perdre dans l’absolu de cet indéfini.

“C’est une façon de voyager en soi aussi. C’est si bien de se déplacer à l’intérieur“, dit ce voyageur des extrêmes.

Les crocs sont là, ils ne lâcheront plus. Il n’y a plus qu’à se jeter, à corps perdu, dans les faux-accords et dans l’eau-de-vie d’ailleurs. L’impensable a parasité les possibles du pensé.

L’impossible est bien là, qui attend de pied ferme, fatal, subtilement terrifiant, à découvert, et déjà maculé d’ironie et de désespoir.

Mais Jim Delarge secoue les ressorts cachés de la création. Dans cette vie qui s’agite au fond de nos certitudes, les corps reconstitués ont succombé au poids des conventions.

Ici, on secoue. On éveille. On oxygène. “On fait rutiler le chaos“.

Bousculé d’altérité, Jim Delarge est un capteur d’outre énergie. Il désosse les attendus de l’art. Michaux l’aurait bien aimé.

Ici des paysages en apesanteur, un rien sidérants et sidéraux, des nappes phréatiques du mental souterrain, des presque déserts à la Tanguy, et de l’inextricable à peine dénoué. Leurs titres au petit bonheur ont les vertus des boules puantes dans les vernissages …
Jim Delarge suit au plus près les désastres du monde, ne reste jamais dans la sieste de l’intime, ni dans le confort narcissique. Il affronte à vif les affres du présent. Il n’est pas rare de voir surgir dans les étendues onctueuses et glacées de ses miroirs d’humanité, l’horreur logotypée des signes “daeshiens” côtoyant nos “petits coeurs de bisounours”.

Notes sur le visible

Comme tant d’autres, je crois vagabonder pas mal en interne. Ça s’invective, ça brainstorme, ça tutoie les dieux, les invoque, les insulte, ça jette des sorts, ça entre en transe en dansant à l’atelier, ça ne retombe qu’en enfance. 

Dans ces états-là, on ouvre des vannes et certaines frontières, des dogmes et des interdits claquent. D’autres émergent. Puis s’évaporent.

De fait, il y a ce grand laisse-aller-là, chez ce peintre que j’incarne et pour qui toute image ne naît que d’une granulosité, une matière comme on dit, un traitement chaotique du support, des taches, des empreintes, des réseaux, à l’occasion de projections et de diffusions de jus à l’horizontale, ceci jusqu’à obtenir, par accident, une information de type organique ou que j’identifie comme telle : c’est-à-dire quelque chose ayant trait au biotique, au cellulaire, au paysager, au géologique, au cartographique ou au tripal. Je ne fais que laisser travailler la mécanique des fluides au gré de micro-pentes.

Le lendemain, à sec, je tourne autour de mon support « informé » sans projet précis : je peux prendre mon Rorschach, car c’est bien de cela qu’il s’agit, dans n’importe quel sens jusqu’à halluciner une forme ou un groupe de formes pouvant interagir. Au bout d’un certain nombre de tours, comme tout le monde, j’ai le vertige mais une, deux, ou trois choses vagues se sont imposées. Certaines d’entre elles prévalent.

À ce stade, nombre de modes opératoires s’offrent à moi :

– Soit je circonscris une, et une seule, des formes hallucinées, par un aplat autour, et une « forme de vie » en émerge, action automatiquement représentative, classique et spatialisée. Et ce traitement qui consiste à détourer le chaos avec du vide, pourra éventuellement se remplir et faire un jour, mur, sol, plinthe, autour de cette forme initiale, circonscrite, souvent assise, dos au mur.

– Soit, encore, je sélectionne plusieurs des micro-éléments du chaos qui m’évoquent bribes de membres, arborescences humaines, végétales ou animales, terrestres, sous marines, vertébrées ou invertébrées, et dont la réunion favorise (à l’instar des cadavres exquis) l’émergence de formes imprévisibles déterminant ce que je nomme mes Xénomorphes – des êtres résolument impossibles, asymétriques, dissymétriques et certainement, ici comme ailleurs, non viables –, et le résultat peut renvoyer tour à tour à la tératologie, au cartoon, au surréalisme ou à la prospective.

– Soit enfin, le chaos initial devient fond (mur ou paysage) et en son sein je cherche donc trouve des micro-sujets que je mets en valeur en les surlignant. Des traits humains, des ombres de visages superposables, des choses sans nom mais interprétables.

– Soit aussi, et de plus en plus d’ailleurs, je renverse sur mon panneau au sol, divers jus colorés que je fais basculer et interagir, sans finalement intervenir plus que ça, quand ça « réussit », je garde, quand ça rate, j’efface ou racle et je recommence.

Jusqu’en 2007, je défavorisais les extérieurs ou les ouvertures sur le dehors, mais singulièrement, depuis la découverte de Gliese 581c, (qui s’est appelée plus tard tantôt GL.d, GL.f et GL.g) toute première exoplanète dite « tellurique » médiatisée, évoluant dans la « zone habitable », par conséquent avec une possibilité d’eau à l’état liquide à sa surface, bizarrement donc, un paysage, un ciel, peuvent émerger dans mon travail. Je ne fais, depuis lors, que digérer assez automatiquement des lectures scientifiques vulgarisées. Hélas Gliese 581c s’est depuis révélée un artefact et a été oubliée.

De quelques origines qu’elles soient, mes formes « posées » prendront vie en étant affublées de divers éléments, des afféteries – tics, colifichets, cols, cravates, trucs, moustaches, globes oculaires (un tic prégnant dont je ne me dépare), des accidents, des gribouillis, oreilles de lapin, touffes d’herbe, lianes, barbes, buissons, glands, becs, verges, cornes, dentures, boutons, vulves, sourcils, colibris – faisant sens sur le moment dans l’état boulimique dans lequel je me suis mis.

On n’est pas dans le minimalisme ici. On est dans mon maximalisme personnel. Une centrifugeuse où tout convolue. C’est animal, c’est humain, c’est de l’accessoire, cela peut même renvoyer indûment au végétal depuis la découverte d’Elysia Chlorotica en 2008 – une limace de mer intégrant les chloroplastes de l’algue Vaucheria dont elle se nourrit et capable, – par une sorte de miracle de l’évolution, un drôle d’hapax, un transfert de gènes dit «horizontal», –capable donc d’opérer à son tour une photosynthèse ! Une limace chlorophyllienne ! Le monde entier s’en moque ! Pas moi ! Une véritable chimère opérante qui m’inspire depuis au plus haut point.

Ici, tout évoque les « êtres venus d’ailleurs » de nos enfances, ça peut renvoyer à l’animisme aussi parfois, c’est automatique toujours, c’est hautement sentimental, c’est du palimpseste toujours, ça pourrait faire « Art » à ce stade.

Mais ces rajouts, ces caches, ces gadgets inutiles, ne sont que des adjuvants, des indices, des exposants que je place là où il faut, ou juste à côté d’ailleurs, parce que je prône une certaine maladresse souvent, une certaine inexactitude.

« Pas de prévoyance ! », a dit (entre autre) Artaud. Alors bêtement, là, j’obéis à l’injonction car tout simplement, elle m’arrange.

Après ? Je mets en volume, j’obombre (>je pose des ombres) et plonge le tout dans une lumière centrale mais latérale de type théâtral, ou pas d’ailleurs, car je me fantasme en homme si libre au point de déroger à mes propres règles, et je prétends en avoir fini.

Hélas, ces formes-là, en devenir, ne sont pas très accomplies, ou le sont trop, et mes avortons, mes avatars, ma machinerie de xénomorphes, tout cela se met à pulluler, à se recouvrir, à s’annuler les uns les autres ou à vouloir trop obéir ou trop désobéir aux lois de la physique, et le doute s’installe.

Et ça me gêne de me retrouver là, je n’y suis pas à l’aise.

La 3d, l’infantilisme, le pop-art, le surréalisme, la régression, ça m’ennuie chez les autres, ça m’ennuie chez moi.

Alors je détruis tout avec une grande ferveur, je racle ou recouvre tout ce qui me dérange, ou fais basculer ma scénographie à 90, à 180 ou 270 degrés, en prenant soin de ne garder que quelques « trucs » que je juge assez réussis. Une sélection pas si naturelle.

Depuis peu, le choix même d’une orientation ne m’apparaît plus si nécessaire, et depuis que Baselitz, en personne, s’est remis à l’endroit, (ou envers d’envers), il appert que deux ou trois sens de lecture peuvent coexister et prévaloir pour un même tableau.

On a affaire à un monde renversé, puisque réversible, j’en suis le premier témoin, ça ne m’appartient plus mais je me le suis approprié.

Ce refus de déterminer un sens de lecture a été paradoxalement une prise de décision importante. Comme si dans une grande magnanimité, il m’amusait d’offrir un surcroît d’interprétation, l’un de mes projets consistant à exposer, un jour, mon travail à l’horizontale, une forme d’in situ qui permettrait à mon rare public et de tourner autour et de marcher sur mes tableaux comme je le fais.

Quels que soient les modes opératoires, le type de scénographie, et les choix d’orientation, au final, apparaît souvent quelque chose de moins franc, de plus indirect, net mais indéterminable, une polysémie qui, dans son brouhaha, renvoie à l’Innommable, l’Ineffable ou l’Irréalisme car l’univoque, le thétique ou la monosémie me dérangent au plus haut point, et cela autant qu’une forme pornographique le ferait. Comme si j’associais la pornographie et l’obscénité d’un sens unique et l’opposais à l’érotisme d’une sensation, en l’occurrence celle d’un sens perdu.

Trois fois rien a évolué, a muté, d’une façon irraisonnable mais légitimée. Après tout, je ne suis qu’un des instruments de l’époque et je ne fais qu’obéir à des flux et quoiqu’il advienne après, de mes dénis logorrhéiques et de mes mutations en série, je ne le déplore pas, du moins pas tout de suite.

Alors, ce type d’ironies-ci, en chapelet de petites idées, je compose bien sûr aussi avec. Mais ça a un côté très périssable tous ces partis pris et ça peut amoindrir les choses, ces circonvolutions. Soyons sérieux.

De fait, je contrebalance avec d’autres procédures qui sont, elles, je l’espère, plus prégnantes et d’ordre plutôt technique, pictural et compositionnel.

Le Jackalope, au hasard, en tant qu’ancienne composante ironique à doser, (c’est un lapin à corne), a pu un temps fonctionner comme un tic momentané chez moi, alors on pourrait se demander en quoi ce gadget m’a intéressé à ce point-là.

Eh bien parce que c’est un leurre d’abord, une fausse piste surexposée, mais j’y retrouvais des résonances un petit partout en cherchant bien. Son origine remonte à 1932, quand Douglas Herrick a naturalisé un lièvre et y a adjoint de petites cornes de cervidé. Depuis, c’est devenu un attrape-touriste au Nouveau Mexique, ce qui m’a étrangement plu la fois où on m’en a offert un empaillé.

Jackalope ? C’est la contraction anglaise des mots Jackrabbit et Antelope. C’est censé être un animal très timide et nocturne, ne supportant pas la captivité, un voleur de balles de golf aussi, dont le chant au clair de lune rappellerait la voix d’un bébé enroué, mais c’est une chimère et tout porterait à croire que j’en ai fait, dans les années 2000, un animal totem. Ce qui a été vrai un temps.

Ça me correspondait et me correspond toujours assez bien au fond, mais hélas, ainsi qu’au monde tel que je le perçois très souvent.

Ça tient, mais ce n’est pas si sérieux, le monde, on le voit bien. Ça se délaie, on va vers le zéro absolu, on l’oublie trop. Il y a ici-bas quelque chose de fluide, d’élastique, d’ondoyant, de sinueux, ça ne se comporte pas si bien, ce n’est pas si solide, il y a beaucoup de temps de latence aussi, on est assez loin du miracle.

Depuis quelques décennies, ça apparaît même comme plutôt fragile, temporaire, ça flotte, aspire, dérive, échoue ou surnage selon des constantes, des variables, des vents, des courants, des zones de fracture, des sinusoïdes molles, des frontières floues, mais aussi selon des butées, des pics, des revirements brutaux et des entrechocs, des accidents, des surprises.

Malgré cela, notre monde subsiste. Dans le perceptible, selon nos organes, à nos échelles de taille, de temps, les vieilles lois de la physique newtonienne ne sont pas si remises en question. La pomme, sauvage, ultra sélectionnée, transgénique, en compote, continue de tomber en bas, même si on lance des navettes, souvent elles ne retombent pas et se contentent d’atterrir.

On contrôle un peu, de temps en temps, l’élasticité de certains événements. Seules les sondes nous échappent et cela est bien.

Mais à nos hautes altitudes, paraît-il, « ça » se réchaufferait, on se le rabâche mais ça refroidira et se re-réchauffera et re-refroidira. Ça ne fait que pulser en mutant un peu, parfois.

L’art des hommes, pendant ce temps, fait la jauge et ne fait que se calquer sur l’histoire des mentalités depuis ses débuts ici-bas. Ça s’accélère, on accélère, on ouvre des brèches, ça s’engouffre.

C’est un petit-plus énorme, l’art, inutile mais vital donc rendu curieusement nécessaire et omniprésent.

L’art agit comme une réécriture interprétative à des fins spirituelles, esthétisantes, poétiques, didactiques, spéculatives, mémorielles, totémiques et ironiques, pourquoi pas ?

Ça reste de la pensée en mouvement coagulée, faite objet, puis argent parfois. Ce n’est pas si virtuel.

On vit, depuis peut-être notre XVII ème siècle, dans une société où Dieu s’évapore mais il se condense encore un peu, son souvenir est bien là. D’autres positivismes nommés, de temps en temps prennent sa place.

Parallèlement: il n’y a pas vraiment de sociétés sans art ou, si l’une d’elle en déballe peu, c’est sans doute qu’on y trouve un excédent en Dieu – ça a l’air très péjoratif et réducteur –, enfin, glissons sur l’éventualité d’un excédent en art ici.

Disons qu’art et religieux ont très longtemps été corrélés, ils interfèrent, sont complémentaires ou supplémentaires, en tout cas, tous deux sont assez hypnotiques, plus ou moins collectifs, et plus ou moins efficients.

Et dans cette mise en facteurs communs, rapide je l’avoue, tous deux semblent avoir une nécessité proche pour toute société donnée en un temps T, pour l’Homme en général chez qui ça comble des vides, pour celui qui émet, pour celui qui reçoit, tant ça participe à leur Histoire.

Ainsi, créer tout court ou créer des mythes, même individuels, envisager des mondes et des visions parallèles, proposer de la fiction, de la transcendance ou fabriquer des dieux, c’est ajouter tout simplement des niveaux de lecture à un réel incomplet, bancal, car nous manquent singulièrement des informations sur ces grands Ailleurs dont nous nous gargarisons, l’invisible, l’inconscient, l’impalpable, l’après-vie, l’avant-vie, LES futurs, LE passé, ce qui pourrait être extra terrestre, le non-encore-pensé, le non-encore-fait, l’infini des possibilités et l’infini encore plus infini des impossibilités, le pourquoi et le comment d’une prétendue présence consciente au monde.

On appréhende toutes ces choses et on répond, de temps en temps, joliment, mais à côté, à des questions qui ont sans doute peu de sens, ou peut-être un sens juste conjoncturel, démodable finalement, d’un millénaire à l’autre, d’une semaine à l’autre, et un jour, peut-être, d’une nanoseconde à l’autre.

Notre cerveau a toujours eu beaucoup de mal à intégrer sa propre finitude, sauf l’heure venant – et encore–, tout comme, et ça peut paraître paradoxal, les notions d’Infini et de Néant, car ce n’est pas si vital pour l’espèce, la plupart du temps il pense à autre chose, le cerveau, et c’est normal.

Mais il a toujours eu besoin de se proposer de nouvelles causalités et de se fignoler de façon empirique des constructions mentales pour sa survie de tous les jours, à partir sans doute de ses rêves à l’origine, de ses hallucinations, et puis de ses élucubrations sur le mouvement des astres, les cycles saisonniers, les coïncidences bizarres, les signes de la Nature, d’où la complexification du protolangage, les proverbes, la divination, la superstition, l’émergence du religieux, de l’art, de la fiction, de la philosophie et aussi bien des sciences.

D’autres champs de pensée plus pertinents toujours, par glissendo, peuvent émerger à tout moment. Là-dessus,on peut lui faire, quand même, un peu confiance au cerveau. On ne s’arrêtera pas ici ou là au niveau de la pensée. On n’a pas du tout fini de brainstormer.

Vouloir donner sans cesse du sens – ou une interprétation cosmogonique, philosophique ou astrophysique et biochimique à ce qui pourrait très bien ne pas en avoir, à la façon où on l’entend maintenant –, semble être une obsession chez nous autres, comme toutes ces dualités, le féminin / le masculin, la vie / la mort, l’espace/ le temps, la matière / l’énergie.

C’est peut-être aussi très proche d’une forme de poétique, tout ça, une belle relecture dichotomique, scandée, rabâchée, de phénomènes physico-chimiques courants et apparents, obéissant à leurs propres rythmes, internes, occultes, leurs propres cycles, mais qui gardent pas mal de leur mystère dans leurs altérations et leurs revirements conséquents et en cela, je ne suis pas spécialiste.

Il en va ainsi de l’Amour, mais il en va ainsi de l’Évolution. C’est mû par quelque chose. Quand on y croit. Ça se répète, puis ça se différencie, ça mute, ça s’associe, symbiose, parasitisme, commensalisme, ça disparaît, mais ça ne naît jamais de rien.

Et à ce stade d’incompréhension totale de ce qui se passe vraiment, on pourrait si bien imaginer aussi l’apparition de la vie comme le parcours erratique de deux acides –ribonucléique et désoxyribonucléique qui ont réussi, avec leurs enzymes associés, par une succession d’essais-erreurs, comme moi et d’autres en peinture et ailleurs.

Et l’on pourrait si bien imaginer encore, l’émergence de la conscience, comme un accident fortuit, pas si nécessaire, de la matière informée, vivante, qui se mettrait à se penser curieusement, à se réfléchir, et se définir elle-même, comme un petit bout de miroir cassé, jeté sur un chaos qui s’organise.

Dans quelle mesure notre petit bout de miroir n’oublie-t-il pas des choses de son propre chaos ?

À ce stade d’incompréhension-ci, (là, maintenant) et si tous ces champs de pensée, ces positionnements, l’humour, l’ironie, le recul, comme les abstractions, les transgressions superficielles, mais aussi les hypothèses d’un avant big-bang, ou de foultitudes de big bangs juste à côté du nôtre, invisibles, incompossibles, mais envisageables comme les trous de vers, et si la tautologie, la cybernétique ou le nihilisme, choses dont on peut se gargariser, choses qui nous aident au final à s’inscrire dans un réel, eh bien, et si tout ceci mis en tas informe, comme lectures du monde contemporain, et si tout cela fonctionnait un peu comme une somme de palliatifs fonctionnant assez bien aujourd’hui depuis la mort récente de Dieu chez nous-autres, nous, croyants d’un nouveau type, nous, détenteurs de cette idéologie supposée dominante, occidentale, effrénée, paumée, en prise à ce présent, en ce début du troisième millénaire boiteux ?

Tout cela (ridiculement prôné) pourrait très bien rappeler le futurisme d’il y a cent ans.

Ailleurs, dans l’espace, dans le temps, tout se conçoit très différemment, toujours. Voyons ! Rares sont les absolus.

Ainsi l’Art n’est qu’une béquille mais avec une béquille on marche.

Et ajouter ces niveaux de lecture s’est toujours aussi avéré une arme, la béquille peut jouer les matraques.

Et armer les discours dominants, les étayer, les promouvoir, et même les critiquer car ça les assied en s’y référant, quels qu’ils soient, traditionalistes, du bon goût du moment, assermentés, tributaires du dernier cri technologique, conservateurs ou dissidents, progressistes, novateurs, révolutionnaires, quels qu’ils soient, car tout ça fluctue, ça se démode, se réhabilite et se pervertit, eh bien tout ceci est extraordinairement ambigu mais du coup si humain.

Sous couvert de spirituel, d’autonome, de pertinent, tout peut être déguisé, récupéré, amoindri, gonflé, par le religieux, le politique, les marchés, les institutions, le plus grand nombre, ou les élites.

Aujourd’hui, on est momentanément dans le transgenre, le culte du moi, le désenchantement, la fausse gaîté, le magasin de jouet, la critique de l’hyperconsommation, du transgénique, on semble être dans l’exhibitionnisme, l’écologie, la nanotechnologie, l’idiolecte, tout ceci c’est de l’auto-épatement.

On prône, on déplore, on constate, on moralise, on se met face à nos erreurs tout en les exagérant souvent, on s’engage, on se dégage, on caricature, on devient ironique, abscons, faussement naïf, c’est très temporaire tout ça, cependant on doute, on expérimente, on propose ou présuppose du politique, du zen, de la résistance, de la distraction, de la réflexion sociologique, de la métaphysique, du porno, de la déco, de la provocation, on mixe tout ça avec de l’innommable, de l’ineffable, du factice, du répétitif, du minimalisme, du gribouillis, du non-dit, du déconstruit, c’est de la survie intellectuelle soi-disant, ce n’est que de l’opportunisme, de la phase, comme autant de placebos, palliatifs à tout ce qui nous a tenu pendant des millénaires et qui s’est évaporé comme l’immortalité de l’âme, les esprits, l’ailleurs, en lesquels notre occident croit moins depuis peu, depuis la mort de Dieu, la divinisation de l’instant, ces miroirs jetés sur le présent.

On réfléchit trop, on s’y perd, mais on s’y retrouvera peut-être, oui mais autrement.

Ça a toujours été notre rôle d’«artiste» décoiffé, de combiner répétition de la tradition et expérimentation de nouveaux champs de pensée, de jouer les témoins, les perturbateurs, les complices et critiques des idéologies depuis des dizaines de milliers d’années.

Rien de plus, rien de si nouveau, à l’instar du sorcier qui, à travers quelques graffitis, célébrait et évoquait, il n’y a pas si longtemps, donc contrôlait un peu aussi, pour son public, la perpétuation des cycles saisonniers et faisait miroiter en même temps également, une éventuelle bonne chasse au chef du clan dans Rahan.

C’était l’opulence, la fertilité, la virilité, la protection qui étaient en jeu, mais le Savoir Universel aussi déjà.

C’était de la magie, du chantage, on y croit toujours un peu, ça rassure, ça inquiète, les promesses d’apocalypse, ça émeut, il ne faut pas briser les cycles, on en joue, c’est beau, ça questionne, c’est bizarre, le savoir.

Puis ça peut être aussi la fête quand on croit que tout se vérifie.

Alors, nous, dès ces débuts-là, avec tout ce savoir, car la règle est de croire toujours tout savoir, eh bien, on s’est occupé de nos morts, car on les aime encore, ils nous manquent, mais heureusement ils nous parlent un peu dans nos rêves, ça c’est curieux, et ça fait peur, alors on leur a construit des maisons bien fermées avec tout ce qu’il faut à l’intérieur. Les premiers tombeaux, constructions associées à des rites magiques pour la survie de l’âme – on y tient particulièrement à l’âme – c’est un acquis que l’on ne rétrocédera pas, le devoir de mémoire déjà, la fête, la peur, on ne sait jamais, cérémoniaux où les psychotropes avaient déjà un grand rôle à jouer, autant que le feu, les masques, dans ces transes collectives, nocturnes, ou les totems, les amulettes, pour personnifier et amadouer les esprits, la peur des mystères de l’univers toujours. Puis on a momifié nos rois qui sont automatiquement devenus des dieux d’ailleurs, avec, comme porte-voix, des tas de pierres, monumentaux, des dolmens, les pyramides, les temples, tout un panthéon, des milliers de dieux, la statuaire antique, les premiers pictogrammes, à la fois mise en images et en discours des au-delà, Paradis, Eden, Nirvana et Walhalla, les idéogrammes, des symboles, les saintes écritures, tout premiers enregistrements de la voix de Dieu, les interdits sacrés, les premières lois, les marchands du temple, Jésus sur la croix, les tout premiers portraits réalistes, ressemblants, faits de leur vivant, d’êtres humains nommés, en l’occurrence là, paléochrétiens, sur les sarcophages du Fayoum en Égypte, puis chez nous, les premières cathédrales érigées sur d’autres reliques, des centaines de saints, des centaines de rois, des bas relief, des gisants, le sang du christ, des bouts de croix, le saint suaire, c’est de l’animisme tout ça, c’est important, ce n’est pas rien, la résurrection, les processions, l’extrême onction, l’inquisition, les Médicis, Duchamp, Beaubourg, le saint urinoir, le palais de Tokyo, le Moma, Pinault à Venise, Le Louvre à Abu Dhabi, c’est notre fluctuation vague entre trivial et sacré. C’est ça l’Histoire.

On institue, on capitalise, on y croit et on érige différemment. Cependant on rêve toujours, on crée encore, selon d’autres modalités, d’autres constructions mentales, fétichistes, cultuelles, culturelles, allant en se complexifiant, en se monétisant, en se momifiant, en se revivifiant, en prenant une ampleur démesurée des fois. L’histoire des arts, l’Histoire de l’Homme ! Car s’y greffe un non moins sacré métadiscours qui cimente tout ça, art sur art, argent sur art, art sur argent, discours sur art, art sur discours sur argent sur art. On en oublie. Une partouze des esprits forts, du brainstorming, d’autres conflits claniques, des biais, des leurres pour, encore une fois, se transcender la finitude, cette fois-ci à l’échelle de l’espèce, pour en faire quelque chose d’historique, de grandiose, de progressiste, d’alambiqué, d’anthropocentriste, de non-dupe, bref de la publicité pour le genre humain car au final, on s’aime bien.

Alors sont-ce, là, des présupposés à nos travaux à tous ? Le post-pessimisme, l’autocritique, le reniement, les paradoxes, l’écrasement de l’histoire, la bouillie des signes et des significations ? Peut-être. Peut-être pas.

Mais tous les jours, moi, je sais pourquoi, je tiens à participer à ce complot-ci, spectaculaire, érotisé. Je l’avoue. À mon échelle modique bien sûr. Mais j’ai tenu, durant mon temps imparti, à tout relativiser et ce n’est que l’époque qui m’autorise cette démolition, ce n’est pas moi qui parle, vous le savez bien, c’est elle. Et qu’est-ce qu’elle me ferait encore dire l’époque ?

Elle me fait dire : « L’homme n’est plus grand chose. Ce n’est qu’un touriste temporaire sur Terre. Un sous-locataire nihiliste qui se tient assez mal. Et son art, autant que sa science, ses alambics, sa bonne santé, son religieux, sa consommation, ses crises et ses guerres, sont ses passe-temps.

Et l’époque le répète tel quel :« Homo Sapiens-Sapiens n’existe plus. «L’Homme deux fois sage» ? C’était une blague, un simple jackalope. Ou bien faudrait-il qu’il la prouve, sa Sapienza, un jour !

Non ! le roi n’est pas nu ! Non, le roi n’est pas mort ! Car le Roi, comme l’Homme, comme l’Art, comme Dieu, n’existent plus depuis peu, mais l’Homme semblerait vouloir les refabriquer, ces chimères, et les ré-ériger sans cesse ».

Cela semblerait notre lot de primates : créer, se redéfinir, sinon on déprime durant sa parenthèse consciente, sa vacance sur terre.

Et sans doute, à ce stade, muter une bonne fois sera bienvenu.

Ça arrivera et ce jour-là, l’Homme d’aujourd’hui, c’est ainsi, sera sur le même piédestal que néandertal.

De l’oubli de soi.

Jim Delarge prend un malin plaisir à nous déconcerter en se renouvelant sans cesse. De son va et vient entre abstraction et figuration, ressort cette volonté d’hétérogénéité, et dans la facture, et d’une oeuvre à l’autre.

Ainsi quand il produit ce qui renvoie traditionnellement à une série, celle-ci n’en est pas vraiment une, puisque hapax, glissements et accidents sont venus déstabiliser le système. Mutations et revitalisations ont tout naturellement opéré.

De sa soupe primordiale, il a extrait des demi-êtres, ce qu’il nomme ses xénomorphes, des formes de vie incongrues, saugrenues, comme issues d’une exoplanète fantasmée où l’asymétrie serait de règle, des chimères certes non viables sur Terre, véritables impossibilités mi-humaines, mi-animales, mi-végétales, mi paysagères, où membres et arborescences renverraient tour à tour à la tératologie, au cartoon ou à la prospective et ne se donneraient plus à voir qu’en tant qu’hypothèses opérantes.

Mais tout ce qui transparaît va être situé dans un non-temps – jamais un contexte n’est apparent – et Delarge réussit à obtenir une hybridation qui tienne en entretenant une gêne dans la frontalité, en suscitant quelque chose de singulièrement vivant, nous prenant à témoin, comme si une forme d’impossibilité pouvait nous interroger sur son propre degré d’existence et sur le statut même de ses métamorphoses. Une gageure par excellence.

On a, à la fois, cette affirmation stylistique extrêmement particulière et cette tentative de déstabilisation.

Jim Delarge se livre à sa fantaisie, à ses bizarreries automatiques dans sa pulsion à aller se creuser l’inconscient et met de fait en équation nombre de forces antagonistes qui vont produire des dynamiques à tous les niveaux.

En ayant vu qu’il y a de quoi interpréter, de quoi lire, ou de quoi se perdre en conjectures (tentez de vous pencher sur le non-sens de ses titres), on va s’apercevoir qu’il y a beaucoup de messages latents qui sont posés là, beaucoup d’images subliminales, des failles, des saillies, qui vont encourager l’imagination à créer des effets de sens inédits.
Ici, rien n’est explicite, on l’aura compris, mais tout est scandé. Rien ne sera donné tel quel. Tout sera réécrit mais dans une langue qui se parle peu.

Yves Tenret

notes sur le fugace

Peut-être ai-je pu rester ce grand nostalgique des ressentis de l’enfance, comme celui de prêter beaucoup trop d’importance à ce qui, décemment, ne peut être là.

Voir, enfant, tous ces êtres curieux ou des visages se développer puis disparaître dans les nuages, voir d’autres êtres s’inscrire sur les troncs d’arbre, les rochers, ou sur des murs lépreux, tout comme au réveil, entre deux eaux, voir, enfant, ces êtres singuliers nous regarder dans la pénombre, ces êtres qui émergent ici du tas informe d’habits posés, la veille à la va vite, sur une chaise, eh bien, toutes ces visions-là, du même type en somme, nous rappellent cette main mise des paréidolies sur ce qu’on peut appeler notre entendement.

Une paréidolie est une pseudo hallucination dans le demi sommeil où nos aires associatives et interprétatives sont particulièrement sollicitées.

Cela nous captive dès l’enfance mais encore à l’âge adulte, à ceci près qu’on s’en amuse. Et l’on peut parier que ce sont ces mêmes paréidolies qui ont participé à l’émergence du sentiment religieux. Certains parlent de forme réflexe et instinctive quand il est question de reconnaissance des visages chez le nouveau né.
Question : Comment, quand on s’appelle Neandertal, et que l’on ne croit qu’en ce que l’on voit, ne pas voir, et croire en, l’esprit d’un ancêtre à travers ce regard prêté à un simple rocher ?
Tout comme, comment ne pas voir, et croire en, ce corps prêté à la simple racine anthropomorphe de la Mandragore qui, tous deux, avec le rocher, comme par hasard, jouxtent la tombe de tel ancêtre ?
En cas de coïncidence majeure, il est toujours plus difficile de ne pas croire que de croire. On est naturellement construit comme ça. Nous sommes des croyants.
À l’atelier, c’est ce sentiment fugace des réalités enfouies que je tente de réveiller.
Comme si, en régressant à ce stade, celui d’avant la culture, et celui d’avant la rationalité, j’étais capable de réactiver, en peignant, cette puissance des pensées enfantines, archaïques, cette belle pensée magique que je mets, de façon assez paranoïaque, très à distance, autrement.
À l’atelier, dans le chaotique de mes premiers jets, quand des jeux d’ombres se mettent à évoquer des volumes improbables, apparaissent si facilement ces êtres curieux en question et c’est bien, dès cet instant que je sur-interprète mes taches, et que je les prolonge et les noie dans mes glacis.
En émergent, au fil du temps, beaucoup d’autres imprévus que je conserve à nouveau comme des dons si précieux. Des dons, non pas venus de l’au delà, je ne suis pas si mystique, mais d’un en deçà du pensé.
Ce travail hasardeux sur ces superpositions de chaos, la fameuse mécanique des fluides que je ressers à tout propos, ne peut s’avérer ni de l’ordre du surréalisme, ni de celui du fantastique, ni encore moins, de celui de l’art brut.
On serait, ici, plus proche de la démarche d’un peintre abstrait qui jouerait sur des effets de lumière.
On ne peut, dans ce qui est donné par le chaos, et signé par moi, se raconter de belles histoires qui tiennent vraiment debout, en tant qu’histoires.
Ce que je conserve du chaos offert est plus insensé et innommable. Ça renvoie plus à ce qu’on appelle si péjorativement le « n’importe quoi ».
Or le « n’importe quoi » n’est pas tant n’importe quoi que ça. In vino veritas, dit-on, par ailleurs. Il pourrait aussi bien y avoir une vérité sous ces logorrhées absconses. Une vérité pas si jolie à entendre. Pas si facile à articuler non plus.
Quand je tiens à offrir cette probabilité d’un sens en surlignant de l’interprétable, je ne confère, au final, qu’un sens qui échappe. Comme un homme fou, ou saoul.
C’est la fuite du sens qui prévaut ici, à tous les niveaux, comme dans la vie telle que je l’appréhende, bien sûr.
Ma vie c’est un peu « n’importe quoi ». Je gage que la vôtre, un peu, aussi. Un « n’importe quoi » induit par des flux. Des itérations, des rencontres, des accidents. Il n’y a que dans les simplismes du cinéma que les vies ont un sens. Que le mot destin en a un.
J’y crois très fort, à cet ineffable-là. Quand les mots manquent, ou ne collent jamais mais que la chose en face ou les événements continuent de parler dans leur langue propre et purement incompréhensible.
La définition même de l’idiolecte. Une voix si étrangère dont on ne perçoit que certaines des harmoniques. Le ton aussi. Le fin fond jamais.

Jim Delarge 2014

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